Cet article a originalement été publié en 2011 sur notre ancien site web, J’aisoif.ca . Il est vieux! Mais on voulait vous le rendre disponible, au cas où ça pourrait intéresser certains. Nous espérons mettre à jour nos ressources sous peu. Merci pour votre patience!

J’aimerais ne pas l’être [l’homme le plus riche du monde]. Il n’en sort rien de bon.

Bill Gates1

Ils disent que ma victoire à Wimbledon les force à me réévaluer, à reconsidérer qui je suis véritablement. Mais je n’ai pas le sentiment que Wimbledon m’a changé. J’ai plutôt l’impression qu’on m’a révélé un sale petit secret : la victoire ne change rien. Maintenant que j’ai remporté le Grand Chelem, je sais quelque chose que très peu de gens sur la terre sont autorisés à savoir. La victoire ne fait pas autant de bien que la défaite fait mal, et le sentiment agréable ne dure pas aussi longtemps que le désagréable. Aucune comparaison !

La prochaine personne à me téléphoner, c’est un journaliste. Je lui dis être satisfait de mon classement, que je suis heureux d’être le meilleur que je puisse être.

C’est un mensonge. Ce n’est pas du tout ce que je ressens. C’est ce que je veux ressentir. C’est ce que je m’attendais à ressentir, ce que je me dis de ressentir. En réalité, je ne ressens toutefois rien.

André Agassi 2

Vous savez, je ne suis pas mordu de tennis. En fait, mis à part le jeu vidéo Wii Tennis, je n’ai tenu de raquette dans mes mains que deux fois dans toute ma vie. Je n’ai pas la moindre idée de ce à quoi peut bien ressembler la vie d’une célébrité. Ici, ni projecteurs ni caméras. Ni renom ni fortune. Et certainement pas de tennis. Juste un gars ordinaire.

Chez le commun des mortels que je suis, les propos d’Agassi résonnent pourtant vraiment profondément. Je veux dire qu’une partie de moi ne comprend rien à ce qu’il est ; l’exercice physique le plus exigeant que j’ai fait dernièrement consistait à me rendre à pied jusqu’au McDonald’s le plus près. Reste que, au-delà des dissimilitudes apparentes entre Agassi et moi, il y a une partie de moi qui s’identifie réellement à ce qu’il dit. En fait, je fais plus que m’y identifier.

C’est presque comme si je terminais ses phrases. Vous voyez, toute ma vie, j’ai ressenti le besoin pressant de réussir et une déception irrépressible au moment de ma réussite. On m’a poussé, et je me suis poussé, à devenir le meilleur, à battre les autres et, la plupart du temps, si c’est ce que l’on peut appeler « la réussite », j’ai réussi. Le monde nous dit que nos victoires devraient nous réjouir et nous valoir des éloges. Nous nous attendons à ce que la vie change ; si seulement nous atteignions une certaine norme de perfection, la réussite changerait notre vie.

Et si ma réussite était totale ? Si, grâce à 80 % de travail acharné et à 20 % de chance (comme si, un jour, toutes
les planètes s’alignaient par miracle), je connaissais la réussite ? Serais-je encore insatisfait d’être simplement « moi » ou est-ce que ma soif de réussite et de réalisation de soi s’étancherait du même coup ? Serais-je plus heureux ? C’est une question qui me trotte dans la tête. Qualifiez-moi de cynique, mais j’ai encore des doutes.

Voici une question : Pourquoi, même s’il connaît la plus grande réussite financière de tous les temps, Bill Gates continue- t-il de travailler ? Parfois, j’aimerais me lever le matin dans la peau de Bill Gates: il a une famille, il possède une œuvre de bienfaisance et il compte parmi les hommes les plus riches du monde ; il possède l’une des propriétés les plus chères de la planète (comportant un terrain de golf, un cinéma et vingt-quatre salles de bain) ; il a dans sa bibliothèque certains des livres les plus précieux de toute l’Histoire ; il a accès auprès des gens les plus influents du monde ; et, pourtant, malgré toutes les réussites qu’il a à son actif, c’est comme s’il regrettait d’avoir son titre. Il reste dans la perspective d’être satisfait quelque chose de légèrement insatisfaisant.

Chaque fois qu’une « réussite » s’ajoute à mon c.v., ma soif s’en trouve toujours accrue. Ou, du moins, je reste sur ma soif dans un domaine ou un autre. Je me dis souvent qu’il s’agit simplement de la soif de faire mieux, de réussir encore mieux… mais je commence à penser que la vie ne peut pas se résumer à cela, car à chaque jour qui passe, malgré que mes réussites s’accumulent, ce sentiment tenaillant persiste toujours en moi. C’est le sentiment que, même si j’ai surmonté un obstacle insurmontable, en définitive, je ne suis toujours que moi-même.

Cela me prête à penser qu’au-delà de cette soif, je ne veux pas uniquement réussir. Je veux que la réussite me change. Et, si seulement je parvenais à réussir à la perfection, cela pourrait me changer à la perfection. Et si je changeais, je pourrais être parfaitement heureux. Je ne serais pas le gars ordinaire que je suis. Je ne deviendrais pas simplement plus aimant et je ne ressentirais pas simplement plus d’amour, mais j’aimerais à la perfection et je ressentirais l’amour parfait. Je ne deviendrais pas simplement plus beau, je pourrais aussi faire l’expérience de la beauté parfaite. Le plus triste, cependant, c’est que le réaliste en moi me dit que cette soif de l’ultime perfection n’est rien qu’une quelconque mesure de réussite ou de perfection personnelles pourrait satisfaire. Je ne suis tout simplement pas à la hauteur.

Ainsi donc, qu’est-ce qui étanchera ma soif de perfection, sinon la perfection même ? Et ce n’est pas non plus une soif qui m’est propre. En tant qu’êtres humains, nous semblons avoir été faits avec en nous ce désir de plus gros et de meilleur. Nos voitures sont plus rapides que jamais, nos édifices sont plus hauts que jamais, notre technologie est plus intelligente que jamais. Grâce au Botox, les gens sont plus « beaux » que jamais. Il s’agit d’une soif insatiable de perfection.

Je me dis que, si Dieu est parfaitement parfait, peut-être devons-nous permettre à la perfection absolue d’interagir avec nous et de nous changer. C’était, après tout, la mission première de Jésus. Dans sa perfection, il est venu interagir avec l’humanité, dans l’espoir d’y laisser une empreinte profonde au point de changer le monde du tout au tout. Il se peut que notre soif de perfection, cette soif de l’ultime réussite, soit là non pas pour que nous nous fassions croire à tort que «la prochaine fois sera meilleure », mais parce que nous avons été créés pour connaître personnellement la perfection en en faisant l’expérience. Et il se peut que le moyen par lequel nous pouvons faire l’expérience de cette perfection ne consiste pas à s’y évertuer jour et nuit, mais plutôt à permettre à Dieu, la perfection même (par sa nature divine), d’interagir avec nous et de nous transformer de manière à faire de nous qui nous sommes destinés à être, tandis que nous entrons en relation avec lui.

[1] Bolger, Joe. « I wish I wasn’t the richest man in the world, says Bill Gates », Times Online Business, 5 mai 2006. Times Online, 7 juin 2010. Electronic. <http://business.timesonline.co.uk/tol/business/markets/united_states/article713434.ece>

[2] Agassi, Andre. Open : An Autobiography, New York, Knopf, 2009, p. 167, 203, 204.

[3] ibid., 203.