« Il n’existe pas d’évangile sans culture », explique Lesslie Newbigin.

Est-ce que c’est vrai?

Pour permettre à l’évangile de s’épanouir dans chaque culture, il faut contextualiser l’évangile dans chaque culture.  Plusieurs chrétien.ne.s, moi y compris, sont d’accord avec Newbigin et les chrétien.ne.s nord-américains commencent à comprendre la pertinence de la contextualisation de l’évangile à leur propre culture occidentale.

Mais la contextualisation est complexe et vient avec un bagage. Comment est-ce qu’on peut le faire correctement, alors que les idoles et les préjugés de nos cultures respectives se faufilent inévitablement dans l’église et affectent nos perspectives et nos croyances?

Le dialogue, quand on reste humble, est un des moyens pour surmonter ce défi. Michael Goheen suggère un dialogue en trois temps pour discerner ce qui nous empêche de voir la contextualisation dans son livre Introducing Christian Mission Today. En comprenant ce triple dialogue, on est plus en mesure de continuer la conversation sur sa nécessité.

Mais, avant ça, qu’est-ce que je veux dire quand je parle de « contextualisation »?

Qu’est-ce que la contextualisation?

La contextualisation peut être comprise comme la communication de l’évangile d’une manière qui a du sens pour les gens dans un endroit particulier.

Même si les vérités de l’Évangile transcendent les cultures, la manière dont elles sont communiquées est importante. Chaque culture a été créée par Dieu et possède ses forces et le besoin d’une bonne nouvelle. Chaque culture a besoin d’être rachetée par l’Évangile et quand l’Évangile est présenté dans le contexte de cette culture particulière, on aide ceux qui la reçoivent à mieux le comprendre. 

Par exemple, on n’expliquerait pas l’Évangile à une communauté sud-asiatique de la même manière qu’à une communauté principalement européenne, parce que les différences culturelles comme la langue, l’histoire, les valeurs et les expériences historiques ne se traduisent pas bien.

Même Pierre contextualise l’Évangile dans Actes 2, 14-41 quand il parle au peuple juif à la Pentecôte. Il présente la vérité sur Jésus à la lumière de leur culture juive, de l’histoire biblique et des patriarches. Comme l’Esprit parlait à travers ses paroles et agissait dans le cœur des gens, 3000 personnes ont décidé de suivre Jésus.

On le voit aussi avec l’apôtre Paul quand il a contextualisé l’Évangile pour un public de culture non juive dans sa lettre à l’église de Corinthe dans le livre des Corinthiens. Il partage le même message essentiel de l’Évangile dans 1 Corinthiens 15:3-8 que Pierre dans Actes 2:23-24, et 32-38: Jésus a vécu sur terre selon le plan du Père, il a été crucifié et tué par des hommes, il a été enseveli et ressuscité par Dieu devant de nombreux témoins. Et les gens doivent répondre à la personne de Jésus en se détournant de leur péché et en plaçant leur foi en Jésus pour le pardon de leurs péchés.

Pourtant, la façon dont Paul et Pierre présentent le message de l’Évangile est très différente dépendamment du contexte culturel de leur public. Par exemple, Paul ne fait pas de références à l’histoire et à la culture juive parce que ça n’aurait rien voulu dire pour un public non juif. La vérité reste la même, mais la méthode de communication s’adapte. C’est la contextualisation.

Le dialogue en trois volets

C’est ce que nous explique Goheen de manière pratique lorsqu’il appelle à l’inclusion de la diversité dans nos échanges. Il dit : « La seule façon d’éviter le syncrétisme et le relativisme est de dialoguer avec l’ensemble de l’Église autour des Écritures. » Ce qu’il veut dire ici, c’est que le dialogue ne peut pas se limiter à nos églises locales, ou au corps du Christ dans une seule culture, parce que les idées préconçues, les préjugés et les idoles de nos cultures influencent nos points de vue. On a besoin d’un dialogue plus large pour pouvoir faire la distinction entre l’église et la culture et analyser notre situation de manière critique. Ce dialogue plus large, appelé le triple dialogue, consiste en … eh bien, trois volets.

Le dialogue entre confessions chrétiennes (interconfessionel)

Le premier volet du dialogue est son côté interconfessionnel. Pour ça, il faut que la discussion soit ouverte et pleine d’humilité entre (et au sein) les différentes traditions chrétiennes pour qu’on soit capable d’entendre leurs perspectives, d’apprendre d’elles et appliquer les enseignements qu’on en tire à notre propre contexte. Prenons l’exemple de nos frères et sœurs catholiques. Le Concile Vatican II a invité des responsables des églises protestantes et orthodoxes orientales à participer à la discussion. C’est vrai qu’ils ont été invités en tant qu’observateurs et n’ont pas pu voter, mais ça montre un pas vers l’unité au lieu d’une nouvelle division. 

Même si je suis protestant, j’ai été encouragé par cette démarche, parce que ça témoigne d’un rapprochement entre les différentes traditions chrétiennes. Je pense parfois que les protestants oublient que les catholiques et les orthodoxes orientaux sont aussi chrétiens.

Le dialogue entre différentes cultures (interculturel)

Le deuxième volet est le dialogue interculturel, c’est-à-dire un échange entre les églises de différentes parties du monde. On a besoin de cette conversation parce que les autres cultures sont souvent plus conscientes de nos préjugés et de nos idoles, et nous des leurs. C’est évident avec les églises non occidentales qui nous aident à apprendre la nature communautaire des humains par opposition à l’individualisme qui prédomine dans notre culture. On apprend avec elles alors qu’on essaie de contextualiser leur orientation communautaire dans notre société.

Le dialogue avec l’histoire

Le troisième volet du dialogue est avec celui avec l’histoire. Pour ça, on se penche sur comment les chrétiens du passé ont vécu dans des situations propres à leur culture et à leur époque. Leurs pratiques et leurs croyances à ces moments-là peuvent apporter beaucoup d’espoir à l’Église occidentale d’aujourd’hui.

Par exemple, dans le cas de l’environnement, on peut s’intéresser aux enseignements franciscains sur la gestion de l’environnement, qui nous apprends à gérer les ressources de manière responsable, et d’éviter le gaspillage et les achats inutiles. On peut en retirer plusieurs applications pour une société si fortement axée sur le consumérisme. On ne doit pas oublier que ça fait 2000 ans depuis l’époque de Jésus, on n’est pas les seul.e.s chrétien.ne.s depuis l’époque des apôtres. On a des mentors spirituels dans l’histoire qui ont plein de choses à nous apprendre. Tout ce qu’on a à faire, c’est les écouter.

Ce triple dialogue a de nombreuses répercussions et je n’ai fait qu’effleurer la valeur de ce que chaque volet a à nous apporter. Mais, est-ce que ces échanges sont suffisants?

Un volet de plus: le dialogue entre religions (interreligieux)

Même si je suis d’accord avec Goheen et que son modèle m’a beaucoup inspiré, quand je regarde la culture occidentale d’aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il lui manque un petit quelque chose, comme une touche décorative: le dialogue interreligieux.

C’est nécessaire dans une société de plus en plus mondialisée, surtout ici, dans notre culture occidentale, pour nous aider à clarifier nos propres croyances et mieux comprendre et interagir avec les croyances des autres religions d’une manière missionnaire. On sera alors capable de partager notre foi non pas comme une option parmi d’autres, mais comme la vérité radicale qui change le monde. Le dialogue avec les autres religions aidera l’Église à évaluer de manière critique sa situation et notre approche, parce qu’elles ont déjà un regard critique sur nous. 

Je me souviens de Paul à Athènes, dans les Actes 17, quand il débattait avec les philosophes épicuriens et stoïciens. Je pense qu’on a besoin de ce genre de dialogue dans le monde occidental actuel et qu’on verra des réactions similaires quand on parlera aux autres de Jésus et de la résurrection: certains s’en iront et d’autres voudront en savoir plus.

La clé d’une contextualisation fidèle

Je pense qu’on doit avoir ces quatre dialogues si on veut vraiment apprendre à bien contextualiser notre foi. Cependant, on doit se rappeler de deux choses quand on envisage la contextualisation.

Premièrement, on doit faire preuve d’humilité. Il y aura des moments où on va être face à de nouvelles idées, certaines bonnes, d’autres mauvaises, et où on sera encouragés à changer. On doit faire preuve d’humilité pour écouter les autres dans le dialogue plutôt que d’être prompts à condamner et à juger. On doit peut-être même admettre qu’on a tort, mais il ne peut y avoir de mission sans dialogue et il ne peut y avoir de dialogue sans humilité.

Enfin, on doit se rappeler qu’on ne le fait pas par nos propres forces, mais que c’est l’Esprit de Dieu qui nous conduit. Newbigin dit : « C’est son œuvre (c’est-à-dire l’Esprit) – et il en est tout à fait capable – de prendre la faiblesse et la folie de la croix, reflétée dans la vie de la communauté, et d’en faire le témoignage qui renverse le monde et réfute ses notions les plus fondamentales. »

L’Esprit est celui qui a envoyé et continuera d’envoyer l’église et il nous fera prendre conscience de nos angles morts et de nos préjugés par le dialogue. Ce n’est pas une solution miracle pour bien partager l’Évangile, mais j’espère que ça t’encourage à poursuivre la conversation sur la contextualisation et à participer à un dialogue sain et humble partout où Dieu t’appelle.

Sources:

  • Goheen, Michael. Introducing Christian Mission Today: Scripture, History and Issues. Downers Globe, Illinois: InterVarsity Press, 2014.
  • Newbigin, Lesslie. Foolishness to the Greeks: The Gospel and Western Culture. Grand Rapids, Michigan: Wm. B. Eerdmans Publishing Co., 1986.
  • Newbigin, Lesslie. The Open Secret: An Introduction to the Theology of Mission. Grand Rapids, Michigan: Wm. B. Eerdmans Publishing Co., 1978.

Au sujet de l'auteur

Shams Siddiqi

Shams étudie à Redeemer University College et termine son B.A. en ministère urbain et interculturel. Il est passionné par l’implantation d’églises et la missiologie. Il a découvert Pouvoir de Changer-Étudiants grâce à son frère jumeau.